Tata N’longi Biatitudes : partisan de la libre expression des écrivains

1. Votre travail d’écriture est tourné vers le monde actuel et le social. D’où puisez-vous votre inspiration ?

Je puise mon inspiration de la vie et de mes lectures. J’observe beaucoup, je regarde beaucoup, j’analyse beaucoup le monde qui m’entoure et évidemment il y a une sorte de posture à prétention philosophique de vouloir non pas apporter des réponses mais plutôt soulever continuellement des questions.

2. Dans votre pièce de théâtre Bateki mboka, vous avez frôlé la question d’émigration à travers le personnage de « Mamba ». Actuellement, l’émigration est dans le monde entier devenu un grand problème économique et social. La voix de l’écrivain congolais ou africain peut-elle apporter de l’éclairage dans cette tragédie ?

Pour moi, l’immigration n’est pas un problème, c’est surtout une composante essentielle de l’humain et ça depuis les origines. En fait je pense que l’humanité est ce qu’elle est aujourd’hui parce que l’homme a migré. Si l’homme était resté en Afrique au centre de l’Afrique où il est apparu, c’est probable que peut-être qu’il se serait éteint en tant qu’espèce. Donc, l’homme a toujours migré. Et la migration est nécessaire à l’humanité. Après que ça pose des questions, c’est un tout petit peu normal et c’est le travail des sociétés justement de répondre à ces questions, tout en n’oubliant pas l’importance de la migration. L’importance de la migration en tant qu’humain est évidemment importante pour celui qui qui reçoit, et pour celui qui part parce que ça permet chacun de se découvrir et de d’une certaine manière de déterminer sa propre identité. Les Circonstances font que c’est parfois une tragédie. C’est souvent une tragédie mais ça c’est un peu comme tout ce qui compte dans l’humanité, c’est à la fois indispensable, crucial et tragique.

3. Est-ce que vous pouvez nous parler de vos œuvres, Mais j’aime et Cœur épelé.

J’ai un regard très critique sur mes propres œuvres. Je pense que pour les deux premières, j’ai toujours considéré surtout pour la première que je n’étais pas encore prêt pour une œuvre livrée au public, mais pour la deuxième, c’est un peu mieux, j’ai beaucoup grandi, évolué mais il y a encore, on va dire, beaucoup de déchets techniques mais ce qui importe pour moi, c’est que si je ne m’étais pas exprimé en ces moments-là en publiant ces ouvrages, je ne serai ni l’homme ni l’écrivain que je suis aujourd’hui. Donc on est perpétuellement en migration à l’intérieur de soi-même. Je considère qu’il y a deux sortes d’écrivain. Il y a ceux qui trouvent tout de suite leur voie, dès la première œuvre, et puis il y en a d’autres comme moi qui vont continuer à se chercher, continuellement toute leur vie et dans toutes leurs œuvres, avec des réussites inégales. On va dire donc c’est un tout petit peu comme ça que je me perçois et je crois que les deux œuvres de poésie ont été des maillons essentiels dans ce que je suis devenu notamment dramaturge Ibaka, mais aussi dans ce que je vais être, probablement si je vais publier des romans dans les années qui viennent.

4. Les éditions Miezi ont récemment soufflé ces trois bougies. Depuis sa création, elles ont seulement publié Parole de perroquet de Vincent Lombume. Est-ce que cet état de sommeil fait partie de sa ligne éditoriale ?

On a publié depuis le début deux livres, la revue littérale LELO et Parole de perroquet. Je perçois ça comme un travail, de fond et non comme un état de sommeil, ça veut dire que vu les moyens que nous avons notamment les ressources humaines et financières, on essaye de faire le meilleur travail possible en prenant le temps qu’il faut. Donc avec plus de moyens on l’espère dans l’avenir, on fera peut-être beaucoup d’œuvres en une année. Notre objectif c’est de parvenir à moyen terme faire à faire cinq publications par an, ce serait déjà très bien.

5. Vous vous définissez comme Kamite-bantou. Vous sentez-vous habité par le devoir de transmettre les valeurs kamites ?

Personnellement, j’ai peur, j’ai une sainte peur des étiquettes, donc je ne sais pas si je me définis comme kemite-Bantu mais je me retrouve dans plusieurs valeurs qui sont promues par les philosophie qui se sont revendiqués « kemite », un travail de recentrage sur ce que nous sommes profondément en tant que Noir africain, tout en étant bien conscient que nous vivons dans un monde qui nous a amené là où nous sommes en nous fabriquant d’autres identités. Il ne s’agit donc pas de renier ce que nous sommes devenus totalement parce que ce sont des faits. C’est un état de fait mais il s’agit de rechercher la partie qui s’est, on va dire englouti et perdu, et puis composer un être moderne, qui qui soit en paix, pacifié avec son passé et, et avec son présent.

6. Une littérature est vivante lorsqu’elle s’exporte et se diffuse. En tant que sociétaire influent des éditions Miezi, avez-vous des idées sur la promotion et la diffusion du livre en RDC, dans la sous-région et dans le monde ?

J’ai des idées, des pistes, mais on continue à réfléchir et à essayer des choses, mais c’est clair que c’est là où se trouve le véritable enjeu de l’édition littéraire congolaise.

7. L’écrivain congolais a le devoir de chanter à travers sa plume les vertus de la démocratie, prôner la liberté, l’égalité homme-femme, la tolérance, le respect des droits individuels et collectifs au-delà de ses convictions ainsi que la lutte contre l’exclusion, la haine et le racisme, pratiquer le libre examen, défendre les droits de l’homme, revendiquer le bonheur sur terre, promouvoir une parenté responsable. Ces valeurs de la laïcité se retrouvent menacer par le fanatisme religieux et l’obscurantisme. Quelle est votre opinion là-dessus ?

Je me méfie énormément des injonctions et je pense que l’écrivain congolais comme l’écrivain de n’importe quel pays n’a pas de ligne éditoriale particulière et préconçue à exécuter. Il raconte son être profond. Il raconte son rapport à la société, son rapport aux autres avec les valeurs qui sont les siennes. Évidemment si ces valeurs sont trop en déphasage avec les valeurs, on va dire dominante et légitime de la société, en principe on ne le lit pas ou on lit moins ou on le marginalise mais je suis plutôt, dans la mesure du possible, je suis partisan d’une très grande liberté d’expression des artistes et des écrivains en particulier.

8. Quelles sont les raisons de votre démission à la présidence de l’Union des Ecrivains du Congo ? Pensez-vous qu’après vous, les choses vont toujours aller de l’avant comme ce fut le cas pendant votre mandat ?  Pensez-vous un jour revenir à la tête de cette structure ?

J’ai démissionné de la Présidence des Écrivains du Congo parce que je trouvais que ce rôle n’était pas assez en phase avec ma personnalité. C’est un rôle politique a priori et je ne suis pas un politique, même si la politique m’intéresse beaucoup, beaucoup plus comme observateur que comme acteur. Il y a incontestablement une certaine léthargie depuis un moment. J’espère que les responsables vont faire ce qu’il faut pour qu’elle se réveille. Mais personnellement je ne compte pas du tout, ni aujourd’hui, encore moins demain, revenir à la tête de cette association. Mais je suis toujours prêt à prêter main-forte aux actions qui seront initiées par ses dirigeants actuels ou à venir.

9. Le poète est celui qui, par les mots essaie d’entrevoir le monde autrement. Il peut aussi être celui qui guide ses lecteurs (et plus généralement la société) vers des idées ou un engagement. Cet extrait est tiré du poème Ultima verba de Victor Hugo pour rappeler le rôle du poète dans une société où le musèlement de la parole demeure courant. Partagez-vous ce point de vue ?

Pour moi, la poésie comme l’art, c’est d’abord raconter, ça peut raconter des histoires, ça peut raconter des sentiments, ça peut raconter une perception du monde, ça peut raconter un rêve pour demain, après ce qu’on en fait, mais ce sont les consommateurs de la production artistique qui vont en décider. Je n’aime pas la prétention qu’un artiste peut avoir de dicter la marche du monde. Je crois qu’humblement, l’artiste transmet quelque chose, et puis c’est un matériau que les autres vont utiliser comme ils voudront. Si on veut, l’intention d’infléchir la marche du monde peut très bien être le moteur qui conduit l’artiste. Tant mieux pour lui, mais voilà ce n’est comme ça que je vois les choses.

10. Le théâtre en RDC est en train de disparaitre. Comment redynamiser cette culture dans ce vaste pays ? Le retour au théâtre de la parole et la présence d’une conscience sociale dans les textes permettent-ils de rejoindre davantage de spectateurs ? Faut-il proposer des thèmes qui traduisent les préoccupations sociales ? Quelle est notre responsabilité et celle de l’Etat à ce sujet ?

 Un théâtre se joue et donc un théâtre a besoin de public. J’estime que nous n’avons pas pour le moment un public pour dialoguer avec un théâtre. On va dire entre guillemets littéraire et donc tant qu’on n’aura pas de public, on aura pas vraiment de théâtre. On écrit des pièces qui sont beaucoup plus éditées que jouées. Ce n’est pas vraiment ce qui devrait se faire et lorsqu’ils sont joués, c’est vraiment dans des cercles confidentiels. Le théâtre est un art populaire. Je pense que la solution, c’est de former des consommateurs de théâtre et ça, ça se fait par l’école. Donc il y a vraiment un réel travail à faire au niveau des écoles pour former les prochains consommateurs de théâtre. Ça vaut pour la littérature de manière générale d’ailleurs, et pour l’art. Et quand il y aura des consommateurs, la Production viendra forcément.

11. La vive tension autour de la désignation du président de la Commission électorale indépendante (CENI) et la guerre des mots entre le clergé et le politique, depuis l’avènement de la troisième république lèsent sensiblement les défenseurs de la Laïcité en RDC. Pensez-vous que la religion ne doit pas se mêler dans la gestion de la res publica ?

Personnellement, je pense que tout le monde devrait se mêler de la politique. Tout le monde doit avoir un regard politique, avoir une parole politique. En tout cas pour ceux qui veulent, il ne doit pas y avoir des restrictions. L’église a le droit d’avoir une parole politique mais après c’est clair que lorsque l’église prend une parole politique, elle prend le risque de s’exposer au débat et à la contradiction. En tout cas, tout le monde doit avoir une parole politique, du moins ceux qui le souhaitent en tout cas.

Propos recueillis par Fiston Loombe Iwoku

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