Dans le monde littéraire d’aujourd’hui, beaucoup de personnes se demandent pourquoi certains ouvrages puissants croupissent dans l’obscurité. Notre environnement, nos habitudes et notre civilisation semblent vivre cette injustice comme étant inhérente à une vie en société, affirme un auteur inconnu. La littérature ou l’écrivain, par le truchement de l’histoire ou des lecteurs, subit alors cette iniquité. La Plume vivante, dans sa mission de diffusion des littératures, consacre ces lignes au roman Parole de perroquet de Vincent Lombume Kalimasi en vue d’éviter que ce beau livre ne tombe dans l’oubli. En effet, de cet écrivain congolais, né à Léopoldville en 1947 la puissance et la qualité formelle des œuvres exigent la lumière afin d’éclairer notre mémoire collective.
Parole de perroquet, Vincent Lombume Kalimasi, Editions Miezi, 2022, 294 p., 19 euros.
Les œuvres de Vincent Lombume Kalimasi gravitent autour des thèmes comme la mémoire, l’oubli, la culpabilité, de même que les questions relatives à l’évolution du Congo-Kinshasa, mais aussi la place de la fiction dans nos vies, la quête identitaire, la lutte des libertés et de l’errance. Les éléments évoqués ci-dessus ont sensiblement influencé l’écriture romanesque de ce grand homme de lettres. L’intrigue de son dernier roman se déroule dans la République d’Uxim où le Coryphée, une véritable star de ladite République, prend parole pour raconter l’histoire de la genèse du mal dans cette nation, ainsi que l’origine douteuse de son Président-à-vie, en la personne d’Ogoli Kamon le Magnifique. En réalité, cet écrivain fait allusion à l’histoire de son propre pays, le Congo-Kinshasa, qu’il a décrit avec emphase. Mais il reste vrai que l’histoire narrée n’est pas solitaire car elle est aussi celle de l’Afrique toute entière. Au fait, ce qui s’est passé au Congo au lendemain de son indépendance, s’est également passé aussi ailleurs, à savoir : l’amour excessif du pouvoir, les arrestations arbitraires, les pendaisons, la cupidité, la dilapidation des deniers publics, le musèlement de la parole, etc. C’est cette Afrique que Coryphée met au ban afin d’éloigner son peuple de la faim, de la misère, de l’inféodation, de l’obscurantisme…
Le griot dit par exemple : « Cauchemar que je vais vous conter sur notre chemin de retour, poussée d’ailes après poussée d’ailes. Mais auparavant, que chacun de vous fasse silence comme le fait la pierre, le seul vivant à en avoir parfaitement la vertu. Cela n’est pas tout qu’une histoire d’Hommes, direz-vous, mais souffrez, amis Perroquets, qu’elle soit dite afin que les oiseaux que nous sommes – et peut-être aussi ceux qui viendront après nous – apprenons (sic) à nous préserver d’éventuelles démences qui dévoreraient nos Présidents-à-vie à la fois Rois absolus et Tyrans prodigieux, et feraient de nous des cadavres sans nombre vrombissant de leurs pestilences une plaine peut-être aussi de boue, de pierres et d’herbes folles ».
L’espace est évidemment une notion d’une grande complexité, rassemblant sous une même dénomination des objets très différents et eux-mêmes très différenciés : espace physique, espaces naturels, espaces humains (ruraux, urbains, domestiques), espaces symboliques à la Bachelard, espaces conceptuels (espace lisse/strié deleuziens), disait Jean-Christophe VALTAT. En effet, Ya Vince (comme le surnomment ses intimes) opte pour une voie risquée, celle de l’invention des lieux inconnus, tout en ne croyant pas à la réelle existence de l’imaginaire, comme le fit savoir Lamothe. En fait, les deux auteurs précités croient que nos esprits créatifs s’inspirent toujours du réel.
Ce roman déballe les réalités profondes de la population congolaise sous une forme imagée. L’auteur fustige, par la bouche du Coryphée, le culte de personnalité en l’honneur du Président-à-vie, ainsi que « le somnambulisme épais de cauchemars, de misères, de peurs et de superstitions ». Ce qui rend beau ces « lieux inventés », dit Pierre Jourde, ce sont surtout l’agencement et l’assemblage des figures spatiales, ainsi que le travail de métamorphose et les associations mentales qui constituent « l’invention ».
Coryphée symbolise l’âme, la bibliothèque vivante de la République d’Uxim et se présente en grenier de la sagesse de son pays, jouant ainsi un rôle essentiel dans une société où la terreur d’Ogoli Kamon est au summum. Ce griot possède en lui un pouvoir mobilisateur et un don divinatoire sans égal qui le définit de fait comme étant porteur d’espérance et faiseur de pluie de paix et de vérité. Voici comment le romancier le décrit : « Le Coryphée est reconnaissable à la plume écarlate de son front, à l’émeraude de ses yeux bien sûr, et au craquèlement de sa parole, pareil à celui des osselets divinatoires. Tous ses attributs le désignent comme un élu des dieux, capable de lire le passé, de comprendre le présent et de prédire le futur ».
En tant que natif de Léopoldville, actuellement Kinshasa, Vincent Lombume Kalimasi choisit cette capitale mythique comme le point culminant de la création de ses intrigues, qu’il s’agisse de ses romans La légende du roi crapaud (éditions Le Cri), Rubescence (éditions Mabiki), Parole de perroquet (éditions Miezi) ou autres nouvelles parues dans les ouvrages collectifs. En tout cas, il y a en lui cette obsession de construire des récits à partir d’événements qui se sont produits à Kinshasa. Lombume dévoile via le regard de Coryphée la violence éclatante de sa société poussée par un vide de valeurs, que le lecteur constatera lors de son périple dans cet ouvrage. En fait, Parole de perroquet est une épopée humaine, faite de joie, de plaisir, de drame, de sang… une de ces histoires racontées par un perroquet dit Coryphée. C’est à ce griot, poète et créateur, verbeux, bavard et éloquent que Vincent Lombume a confié la tâche de raconter des anecdotes, des mémoires, des mythes et des légendes des hommes avec sa verve, sa poésie, sa parole multicolore, multiforme et changeante. Nous pouvons ainsi constater chez cet auteur la volonté manifeste de présenter à ses lecteurs une littérature qui soit totalement différente des romans classiques. Ainsi, son choix délibéré de la forme d’une épopée romancée, de son attachement à l’art du griot par la métaphore du perroquet, à qui celui-ci délègue une mission précise, celle de nous représenter à une époque de notre histoire, de notre civilisation, où l’oralité aura sa valeur d’antan, à un moment où les choses seront dites en toute franchise, et la parole sera véritablement créatrice. Lombume Kalimasi choisit ainsi cette forme de parole qui s’adresse directement à l’être et aux émotions qui se donnent à voir, au lieu d’adopter celle sans vie, sans respiration.
Comme le précise Fiston Mwanza Mujila dans sa note introductive, Vincent Lombume Kalimasi est une fête, ou, mieux, une orgie cérébrale, qui ne vous regarde pas de haut, ne reste pas sur son piédestal d’écrivain accompli et d’aîné, mais vous accueille chez lui sans trop de chichis, en vous ouvrant les portes de son savoir. Vincent Lombume s’est fabriqué une tonalité singulière, attachante et déchirante, qui rend fluide notre volonté d’édifier une Afrique qui se réconcilie avec son peuple, mais aussi avec son histoire. La Plume vivante vous convie à décrypter les pages envoûtantes de Parole de perroquet, nées d’un travail de corsage que VLK a accompli avec diligence, et vous aurez enfin le droit de vous réjouir dans la lecture de ce beau bouquin qui se meut dans le domaine du fantastique.
Par Fiston Loombe Iwoku