Par Fiston Loombe Iwoku
Roman
Dans un souci de construire des passerelles culturelles, Juliana Léveillé-Trudel nous amène à Salluit, au Nord du Québec, où la survivance de la langue et de la culture inuttitut ne sont pas négociables. Cette résilience qu’elle dépeint dans son dernier roman On a tout l’automne, est à la fois la résistance à la destruction et la construction d’une existence valant la peine d’être vécue, pour reprendre la belle l’expression du Bureau International Catholique de l’Enfance (BICE). A travers ce récit lumineux, Juliana Léveillé-Trudel exhibe des mots et des images qui remplissent notre imaginaire sans la saturer. L’émerveillement qui se dégage de la lecture de ce roman devient une boussole devant guider toute personne soucieuse de préserver une part de ce patrimoine de l’humanité, qu’est cette langue menacée de disparition.
On a tout l’automne,Juliana Léveillé-Trudel. La Peuplade, 216 p., 19 euros
Avec On a tout l’automne, Juliana Léveillé-Trudel nous fait entendre des voix, en laissant ces personnages raconter des histoires et dire des poèmes en inuttitut, une langue autochtone parlée dans le Nord québécois. A travers cet ouvrage, elle tente de consolider des liens entre les jeunes Inuits et les promesses du futur.
A son retour à Salluit, elle constate la reconfiguration du village, avec l’apparition des nouvelles constructions, du mouvement des ouvriers et du nouvel aéroport, comme de vraies merveilles qui se présentent à ses yeux. Elle décrit ainsi un paysage automnal exaltant, en y ajoutant une dose d’émotion qui se ressent dans chaque mot.
« Je migre à l’envers dans le ciel bleu éclatant, un jour de Grand Nord qui se montre tout doux, qui fait semblant que ce n’est pas si froid chez lui et que la vie n’y est pas si rude. La toundra débordée des petits fruits vire au rouge ; par le hublot, on voit les collines flamboyer à l’infini. »
Ce voyage à Salluit a permis à l’auteure d’être en contact avec une vie qui se conjugue au passé, au présent et au futur. Les vieux souvenirs de l’Arctique, les vacances, les promenades sur la toundra, et la pêche des moules, sont autant d’images qui lui reviennent en tête.
« Dans ma tête, le paysage de mon enfance flotte sous la toundra : les collines qui ondulent jusqu’à l’orée de la forêt, les champs dorés par la lumière de fin d’après-midi. Le même interminable trajet d’autobus, tous les jours, l’excitation d’arriver à la maison, de courir retrouver ma mère pour lui faire le récit de mes aventures. »
Passionnée du théâtre, Juliana Léveillé-Trudel puise son énergie dans ses expériences vécues le peuple autochtone Inuit. Ce livre suit la trajectoire de son premier roman Nirliit, publié aux éditions La Peuplade en 2015. Ce dernier avait d’ailleurs remporté le Prix Pantagruel en 2018. En tout cas, cette auteure aime partager des histoires, les joies, les tristesses, tisser des liens, nourrir des émotions en commun. Cette dévotion se confirme davantage dans ses pratiques d’écriture où le témoignage et l’engagement riment avec les accents poétiques.
Dans son récit, Juliana exprime sa passion pour la poésie en inuttitut, une langue très lyrique. Mary, son personnage principal, se chargera d’apprendre aux élèves à écrire des poèmes en inuttitut. Tenant compte de sa longue expérience, cette infatigable maman ourse, va choisir en premier lieu Annie et Matiusie. On constate ainsi cette volonté de transmission de cette belle culture d’une génération à l’autre. Cette transmission culturelle a pour fonction d’humaniser le petit de l’homme, pour en faire à son tour un homme. Aussi, il n’y a pas de société humaine sans lègue de culture. Parce que l’homme est essentiellement culture et qu’il n’y a de culture que par la volonté de la transmettre d’une génération à l’autre, et cela s’appelle éduquer, comme disait Serge Cantin.
Juliana Léveillé-Trudel © Gopesa Paquette
« Il y a peut-être des personnes qui vont dire que nos grands-pères ne faisaient pas de poèmes quand ils chassaient les caribous. Avant, on avait juste nos paroles et nos gestes pour montrer ce qu’on sait. Mais moi, je pense que l’écriture peut nous aider. On doit enseigner tout ce qu’on sait aux plus jeunes ».
L’humain est un animal social, qui fonctionne en meute, voire en horde. L’apostolat de Juliana Léveillé-Trudel, à l’image de Victor Hugo, s’inscrit en grande partie dans la mise en marche de l’esprit humain. L’appel à la reconnaissance mutuelle lancé par l’auteure est le point d’orgue de la survie de notre liberté face aux mythes et aux stéréotypes.
Dans le cadre d’une routine annuelle dans le Nord québécois, l’auteure apporte assistance aux enfants de sa communauté et lutte contre les problèmes d’addiction et de délinquance. Pour elle, la communauté est thérapeutique puisqu’elle nous permet de bâtir des passerelles. On a tout l’automne joue donc le rôle d’effet miroir, chaque lecteur.trice se voit identifier dans l’un de ses personnages. C’est là que son roman tire son originalité. Dans la promotion des valeurs communautaires, on comprend bien que ce qui est proposé aux résidents, c’est d’abord et avant tout une vie en communauté, à savoir une vie où l’on se frotte quotidiennement à l’autre – l’autre résident, l’autre de l’équipe : c’est dans la rencontre, qu’au jour le jour, l’altérité est mise en jeu, affirme François de Coninck.
Il est difficile d’être complice de l’horreur dont une communauté autochtone délaissée et oubliée subit quotidiennement. Sinon, quel sera alors l’apport de notre intelligence ? Victor Hugo nous apprend que les intelligences sont des routes ouvertes qui ont des allants et venants, des visiteurs, bien ou mal intentionnés, et que peuvent avoir des passants funestes. Une mauvaise pensée est identique à un voleur de nuit, et l’âme a des malfaiteurs ; faites le jour partout ; ne laissez pas dans l’intelligence humaine de ces coins ténébreux où peut se blottir la superstition, se cacher l’erreur, s’embusquer le mensonge. L’ignorance est un crépuscule ; le mal y rôde. Songez à l’éclairage des rues, soit, mais songez aussi, songez surtout à l’éclairage des esprits. »
On a tout l’automne est cet éclairage dont nous avons besoin pour irriguer nos luttes et nos révoltes des lumières vivantes contre les injustices sociétales, car la littérature est considérée comme un lieu de sapience, c’est-à-dire de savoir, de sagesse et de saveur à la fois, dixit Daniel Castillo Durante.