Par quel mécanisme l’écriture peut nous libérer de nos souffrances, de nos blessures, et de nos frustrations ?
Je pense que l’écriture peut agir comme un catalyseur et permettre d’extérioriser une expérience traumatisante et de s’en distancier, mais l’écriture peut aussi éveiller les douleurs mêmes dont on tente de guérir.
Est-ce que la thérapie par l’écriture peut nous aider à éveiller notre pouvoir d’autoguérison ?
Beaucoup d’entre nous font de l’art pour donner à nos maux une voix, une forme, pour les reconstruire en récit et en accepter l’existence. Mais ça ne marche pas à tout coup, sinon les auteurs seraient les gens les plus équilibrés qui soient ! Donc pour moi l’écriture est un outil thérapeutique potentiel, mais écrire n’est pas nécessairement une thérapie.
A quoi ressemble le syndrome de la page blanche ?
Quand je sens que je bloque, j’aligne tous les mots qui me passent par la tête jusqu’à ce que quelque chose prenne forme ; c’est très proche en ce sens du processus de la psychanalyse. La création est un jeu, et si je ne suis pas dans le bon état d’esprit pour jouer, si la pression est trop forte, je vais prendre une marche et je m’y remets plus tard.
Jean-Yves Revault disait : « Avec l’écriture, tout est possible : réparer le passé, inventer l’avenir, vivre pleinement le présent ». Partagez-vous cette opinion ?
Je suis d’accord et je rajouterai qu’il est aussi possible de réinventer le passé. Les souvenirs sont des constructions, qui prennent la forme subjective de notre interprétation du moment. En vieillissant, les perspectives changent, nos moyens de défense sont plus adaptés à notre capacité de résilience, un événement peut être alors réinterprété sous le regard présent, tout en acceptant les raisons qui ont fait son interprétation initiale.
Quelle est l’importance de la communauté dans la pratique de l’écriture thérapeutique ?
Si on parle de l’écriture thérapeutique comme mode de thérapie, je ne l’ai jamais pratiquée. J’ai fait une psychanalyse.
Est-ce que l’écriture peut être considérée comme une expression salvatrice et guérisseuse ?
Toute forme d’expression a un potentiel salvateur et guérisseur. Mais comme nous n’avons pas tous érigés les mêmes défenses psychiques devant les mêmes dangers, l’écriture n’aura pas les mêmes effets sur les uns que sur les autres et dans certains cas l’écriture ne passera pas à travers des dites défenses, empêchant l’accès à l’événement traumatique qu’on tente d’extérioriser.
Avez-vous une idée de la durée du processus de reconnexion à soi-même et à la libération de ses blessures du passé grâce à l’écriture thérapeutique ?
Pour être réellement connecté à soi-même je crois qu’il faut avoir accepté ses blessures comme faisant partie de notre identité, sans toutefois qu’elles ne nous définissent. Le chemin pour y arriver ne peut dépendre d’une forme thérapeutique ou d’une autre, mais va varier selon les individus, la nature de leurs maux et leur résilience.
Comment pouvons-nous renforcer l’estime de soi via la thérapie par l’écriture ?
La connaissance de soi, via l’expression écrite ou autre, ne peut qu’aider à recalibrer l’estime de soi vers une valeur plus proche de ce que nous sommes réellement. Comme bédéiste, j’écris et je dessine, et le dessin offre des possibilités d’expression qui échappent aux mots. La singularité de mes mots et mes images est pour moi une source de reconnaissance de ma propre singularité. Et, conscient de cette singularité, je peux entrer en communauté et accepter plus aisément la singularité des autres.
La résilience face aux difficultés peut-elle constituer une sorte de remède face aux défis et aux revers de la vie ?
Quand j’avais dix ans, je suis passé au travers d’un lac gelé situé juste à côté de mon école. Mes vêtements d’hiver trempés allaient m’attirer vers le fond, et j’ai dû briser la glace autour de moi jusqu’à ce qu’elle soit assez épaisse pour me permettre de sortir tout seul. Quand j’ai raconté cette histoire à ma psychanalyste, elle m’a dit que quelqu’un avait dû m’aimer beaucoup pour que j’ai des réflexes de survie aussi prompts. Je pense que notre résilience dépend de beaucoup de choses, y compris et surtout l’assurance qu’on mérite d’être en vie.
L’écriture thérapeutique développe la conscience de nos valeurs fondamentales et de nos aspirations, dit-on. Cela exige-t-il plus de clarté pour notre vie et pour nos objectifs ?
Un acte créatif jette une lumière sur soi-même, la différence viendra de notre capacité à regarder.
Propos recueillis par Fiston Loombe Iwoku