Vous avez dit État de droit ?

RD Congo, janvier 2021. L’Union Sacrée pour la Nation, la prochaine majorité parlementaire, sont de toutes les conversations. L’on oublie cependant que ni l’une ni l’autre ne sont des objectifs en soi, mais bien la refondation de l’État de droit au Congo, selon les mots du président Tshisekedi. Or, refonder l’État de droit en RD Congo est loin d’aller de soi.

Au plan liminaire, dire refondation présuppose à tout le moins l’insuffisance de cela qui est à refonder. L’œuvre refondatrice doit, donc, prendre pleinement conscience des antécédents qui la justifient en amont. Quels sont-ils dans l’espèce congolaise ?

Au plan de l’analyse, les derniers antécédents en date constituent ce que j’appellerai la situation antérieure à l’État de droit en projet ; la situation qui commande le projet d’un État de droit en RD Congo. Celle-ci se décline en une théorie de paradoxes de la vie politique congolaise de ces deux dernières années. Je n’en évoquerai que les quatre suivants.

  • L’option de l’alternance pacifique au détriment de l’alternance démocratique. Pour autant que son argumentation repose sur la crainte d’un bain de sang, l’alternance pacifique trichait, en fait, avec la volonté populaire qui avait expurgé depuis longtemps la peur qui a toujours fait le lit de la dictature. De sorte que le mandat de Félix Tshisekedi partait sur une contradiction fondamentale en se coalisant avec le système Kabila en principe à déboulonner. La rupture, en fin de compte, avec ce système a fait mentir ceux qui bavardaient sur la nécessité de la coalition Kabila-Tshisekedi à travers l’alliance CASH-FCC pour le bien du peuple. Elle a également fait mentir ceux qui rêvaient de je ne sais quelle stratégie de minage de l’intérieur du système à déboulonner. Combien sont-ils aujourd’hui qui défendraient encore ladite coalition de part en part contre-nature ?
  • Le déchirement au sein de l’UDPS, parti au pouvoir, entre la base militante et la direction partisane du partage du pouvoir. L’argumentation de la base consistait à soutenir le nouveau président de la République, tout en s’opposant véhémentement à la coalition qui le liait à Kabila. En face, l’argumentation de la direction du parti consistait également à soutenir le président, tout en défendant à corps perdu la même coalition qui l’engageait par rapport à Kabila. De sorte que Félix Tshisekedi démarra son mandat écartelé entre son devoir d’honorer ses engagements politiques dans le cadre d’une alternance pacifique malavisée et son devoir idéologique doublé de la promesse électorale de respecter le slogan « Le peuple d’abord ! » Déboulonner le système Kabila sans bénéficier ne serait-ce que du soutien efficace de son propre parti politique tenait dès lors de la gageure.
  • L’autodestruction argumentative d’un certain militantisme pro-Tshisekedi. L’argumentation de ceux que quelqu’un a appelé les talibans consistait à proclamer avant la lettre l’avènement de l’État de droit avec l’accession de Félix Tshisekedi à la magistrature suprême, tout en déchaînant une rare violence verbale à l’encontre de quiconque usait de sa liberté d’opinion pour dénoncer les tenants et les aboutissants de l’alternance pacifique. « BOKOMESANA ! » fut sa déclaration de principe. De sorte que non seulement le militantisme pro-Tshisekedi refusait toute discussion sur la façon dont Félix Tshisekedi vint au pouvoir, mais il annihilait en même temps toute possibilité de rationalité sans laquelle il ne saurait y avoir d’État de droit.
  • La praxis problématique. Aujourd’hui, bien risqué est de ne pas applaudir au tour de force de Félix Tshisekedi pour s’extirper de la coalition qui le liait à Kabila. Du coup, ce me semble, l’on oublie un autre paradoxe, praxique celui-là : ce sont les acteurs, une partie du moins, de la mise en échec de l’État de droit à travers le choix de l’alternance pacifique, qui prétendent se convertir en acteurs attitrés de la refondation du même État de droit. Et voilà Félix Tshisekedi totalement exonéré de tout passif, du moment qu’il en a appelé à l’Union Sacrée pour la Nation, s’est mis en quête d’une nouvelle majorité parlementaire pour pouvoir gouverner librement. Ni plus ni moins, le voilà le nouvel homme fort du Congo. Le président Félix Tshisekedi saura-t-il éviter les dérives caractéristiques de l’homme fort en politique congolaise, voire africaine ? Sera-t-il de la trempe des hommes forts, rarissimes de par le monde, qui ont su s’effacer à temps après avoir assis le pays sur des bases solides ?

Ces quatre paradoxes parmi d’autres n’ont pas vocation d’introduire un quelconque défaitisme. Ils invitent plutôt à éventrer la surface du courant dominant, d’approfondir la réflexion sur les prochaines destinées du Congo au-delà de toute unanimité superficielle.

Mais qu’est-ce que l’État de droit que la situation antérieure ci-dessus explicitée appelle ? Si j’osais proposer ma modeste contribution pour répondre à cette question, je dirais que l’État de droit n’est jamais donné une bonne fois pour toute, qu’il est un chantier permanent. En ce sens, il peut être perçu comme une vision à long terme. Or, de chantier de cette envergure, je n’en connais pas qui ne soient assortis d’exigences nombreuses. Entre autres les suivantes en ce qui concerne le Congo d’aujourd’hui.

  • Exigence de vigilance politique continue. En régime d’État de droit, le citoyen éclairé a le droit et le devoir de veiller sur la gestion de la chose publique. C’est dire si ânonner des slogans du type FATSHI-BÉTON ne suffira pas à la tâche. Ce n’est pas avec de la complaisance, mais avec de l’intransigeance que se construit et se consolide un État de droit.
  • Exigence juridique. Le droit est l’outil par excellence d’un État de droit. Encore faut-il l’ajuster en temps et lieu non pas pour pérenniser un régime politique au pouvoir, mais dans l’unique but de servir le haut intérêt de la nation. C’est dire toute l’importance du débat contradictoire pour éclairer aussi bien l’opinion que les élus sur les enjeux véritables, éclairage qui devrait nourrir les techniciens du droit au moment de le réaménager. C’est dire également combien il importe de dire le droit dans les langues nationales congolaises puisque, du haut de sa technicité, le droit qui ne parle pas au citoyen ici et maintenant ressemble au bruit du vent dans le feuillage.
  • Exigence praxique. L’État de droit dessine le cadre de référence des pratiques étatiques. L’État sera vraiment de droit dans la mesure où ce cadre répond des vertus données en normes d’action pour tous. Ainsi est-il du critère de la méritocratie dans le choix des acteurs du service public, du strict respect de la loi par ces acteurs, de la justice sociale dans la redistribution de la richesse nationale, etc.

Janvier 2021. La RD Congo se prépare-t-elle à entrer dans l’État de droit ?

Lomomba Emongo

Il est écrivain-philosophe, et vit actuellement à Montréal au Canada où il enseigne les sciences sociales et les spiritualités négro-africaines à l’Université de Montréal.

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