

Mille ans après, je ne pensais jamais l’écrire. Je suis étonné aujourd’hui encore d’avoir pu mettre en mots ce qu’on m’a mis sur la gueule. J’avais suivi une longue psychothérapie, et ce livre constitue une véritable délivrance. Les médecins disent que c’est en partie grâce à lui que je remarche. J’ai commencé l’écriture de ce livre à l’hôpital. (J’étais encore en chaise roulante. Suite à une opération à la colonne vertébrale, j’ai dû totalement réapprendre à marcher.) On ne se remet pas des traumatismes subis durant l’enfance. On ne peut pas pardonner, on ne peut pas oublier. Faire une thérapie est le début d’un commencement de guérison. Le chemin est long.
2. Lorsque vous dites dans Le moderne, publié par le site poeme.a-lire.fr, dans la rubrique Le poème de la quinzaine : « Je n‘écris pas pour vous/ C’est la blessure en moi/Qui me fait dire des choses/Que je ne pense pas ». Faites-vous allusion à la blessure du rejet dont vous a été victime dans votre enfance ?
Oui. Je suis né prématuré et j’ai failli mourir à la naissance. Ma mère ne m’a pas accepté et m’a frappé 16 ans durant. Comment se remet-on d’un tel traumatisme? On ne s’en remet pas. On le cache longtemps. On fait une psychothérapie, on réapprend à vivre, on dompte ses angoisses, mais le traumatisme est là. Ce rejet initial explique sans doute beaucoup ma personnalité. J’ai longtemps eu peur du monde et peur des autres. C’est un miracle que je puisse aujourd’hui parler de tout cela de manière si sereine. Merci à toutes celles et tous ceux qui ont cru et croient en moi. Merci à vous de m’accorder cet entretien.
3. Peut-on retrouver la liberté par l’écriture ?
Oui, je le crois. Écrire, c’est redevenir maître de son destin, c’est imposer son narratif. Le texte est, le livre est. Après les traumatismes, les peurs, les silences, les rejets vient le temps d’exister. Enfin.
4. La symbolique de la solitude est présente dans vos écrits. Francine Ouellette disait : « La solitude a deux facettes. Volontaire, elle élève et purifie. Obligatoire, elle étouffe et détruit ». La vôtre est laquelle parmi les deux ?
Les deux en même temps. Enfant, j’étais très seul. Au cours de ma psychothérapie, j’ai pris conscience que j’avais vécu toute mon enfance dans la peur. Ma mère hurlait, les assiettes volaient, et moi elle me frappait à coups de ceinture. J’adorais l’école. Quand ma mère ne m’obligeait pas à ranger la maison sous un flot de coups et d’insultes, je passais mon temps dans ma chambre à apprendre des langues étrangères. Ma passion pour les langues est ce qui m’a sauvé et ce qui me sauve encore. Après le bac et au cours de mes premières années d’études, j’ai pensé que la solitude m’avait définitivement quitté, que j’étais capable d’aller vers les autres, d’être aimé des autres, d‘être compris et accepté des autres. Mais très vite, les carences affectives dont j’avais souffert se sont réemparé de ma vie. J’avais peur d’être quitté, peur d’être aimé, j’avais peur de tout. J’ai entamé une psychothérapie à l’âge de 33 ans. Je suis né à 33 ans.
5. Que peut-on retenir de ce vers : « Le désir est un songe où les volets sont clos », tiré du poème Confié au fil des heures (Poèmes naïfs) ?
Je crois que le désir est silence et secret. Très loin du bruit du monde.
6. Vous avez été écarté de l’Université de Hambourg, en Allemagne, où vous avez enseigné de 2002 à 2013. Estimez-vous être victime d’un acte discriminatoire de la part de cette université ?
L’Université a été le grand rêve de ma vie. J’ai adoré enseigner. Les étudiants m’adoraient. Les premières années ont été merveilleuses. Puis, tout a viré au cauchemar. Je venais d’apprendre que j’étais atteint de sclérose en plaques. Après deux opérations à la colonne vertébrale et dix mois d’hôpital, je marchais cahin-caha avec une canne. L’Université de Hambourg m’a laissé tomber. Je ne leur pardonnerai jamais.
7. Votre vie a été un combat constant, dur, permanent. Est-ce que la dureté des épreuves de la vie vous a réellement transformé ? Comment voyez-vous l’Autre ?
Le plus dur pendant mon enfance était de voir que les autres enfants – mes cousins, mon frère, ma sœur – étaient aimés et que moi je ne l’étais pas. Cette question fut longtemps la grande question de la vie: pourquoi personne ne m’aime. Aborder la vie avec une telle question est incroyablement difficile. Je n’en parlais pas. Je ne laissais rien paraître. Ma vie amoureuse fut d’abord une catastrophe : quand on me serrait très fort dans les bras, j’éclatais en sanglot et je pleurais pendant des heures. Il y a entre les autres et moi un voile que je n’ai pas encore levé tout à fait. Heureusement, j’ai appris à m’aimer.
8. Mélanie Godin affirme : « La poésie ne sert à rien en soi et elle est pourtant essentielle. Pour le langage. Pour le sens de l’existence. Elle nous transporte. Nous élève ». Partagez-vous cette opinion ?
Oui, totalement. La découverte de la littérature, de la lecture, de l’écriture – du pouvoir des mots – cette découverte m’a sauvé. Les Mots de Sartre ont été une lecture décisive ; je mesure aujourd’hui encore tout ce que je leur dois. Les mots sont le seul lien que j’aie trouvé entre le monde et moi. Sans les langues, sans la poésie, sans l’écriture, je n’aurais surmonté ni la dureté de ma famille, ni la dureté du monde.
9. Pourquoi êtes-vous appelé « Poète nomade » ?
Je ne sais pas, mais je crois que tous les poètes sont nomades par essence.
10. Lisez-vous des auteurs africains ? Lesquels par exemple ?
Léopold Sédar Senghor, bien sûr, mais aussi Cheikh Anta Diop, Achille Mbembe, Assia Djebar.
11. Que peut-on retenir de votre recueil de poésie « Poèmes naïfs » ?
Je relis avec le même plaisir mon poème « Si tu as peur avec le soir » : « Une autre vie s’avance à toi / Une vie qui n’appartient qu’à toi / Rejoins-nous vite. »
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Propos recueillis par Fiston Loombe Iwoku