La première fois que nous avons lu ce titre – Du chœur dans un palimpseste –, nous avons eu une vraie chatouille dans les méninges, tellement cet intitulé semblait nous annoncer un fatras indécis susceptible de produire un amalgame quant à la direction qu’allait prendre le contenu du texte.
Mais dès que nous entamions les premiers vers du recueil, des réminiscences d’enfance remontèrent peu à peu à la surface pour nous suggérer aussitôt des images serties dans notre univers d’homme des rivières et des forêts tropicales.
« Une main grave efface en vain
une tache de sang se peint la nudité de tortue
sur une feuille morte
que déchirent déchirent les coassements
et croassements
or la torture en sa nudité
clame une faim qui ne la tue jamais
Dès l’abord donc, ce ton de nostalgie suave et sensuelle d’une fulgurance sereine nous combla de ravissement, dans la mesure où cette poésie fruste qui refuse à vous aider à l’apprivoiser laisse un vaste champ à l’investigation introspective. Ainsi, lorsque nous avions eu le bonheur de fouiner notre nez dans ce travail dans sa totalité, nous avons appréhendé de la manière la plus fournie l’essence de ces vers d’une intensité curieuse, prémices d’un talent précoce qui s’éclot comme des fleurs des « Flamboyants de l’avenue Bayardelle » à Brazzaville, et qui se présentent au lecteur comme une hydre à sept tête, lesquels vers, au fur et à mesure de leur pénétration, se transforment en polypes d’eau douce.
En fait, dans notre quête de ressourcement, nous avons fait, l’auteur de ce recueil et moi, le même cheminement, mais plutôt en sens inverse. En quittant son terroir natal pour Kinshasa la capitale, Mabusa, outre diplômes et ambitions, avait dans sa musette une sensibilité poétique pour bal musette, que lui a insufflé la nature luxuriante, débordant de passions et de mystères de la contrée du Lac Mai-ndombe. Tandis que nous, nous avons dû quitter Kinshasa, notre ville natale, pour aller à la rencontre de notre sacerdoce poétique dans le « Mai-ndombe », notre milieu d’origine, lieu mythique des génies et des dieux prodigieux, dont le roi Léopold II, lorsque dépossédé de son « Etat Indépendant du Congo », en avait fait son domaine privé.
Quand le poète dit par exemple dans « Bonjour ô doux soleil » dédié à Michel Lady Luya :
Soleil que je voyais en son disque
naître entre deux crêtes de vagues
sur la baie d’Isaka au lac…
Cette strophe d’une apparence banale peut paraître juste comme une heureuse métaphore pour le commun des lecteurs mais en nous par contre, ou en tout contemplateur de la nature ayant déjà foulé ses pieds à cet endroit, elle fait aussitôt renaître un spectacle moult fois visualisé sans parfois en évaluer la vraie quintessence.
En tout cas, il nous a fallu ces trois vers simples et généreux de Mabusa pour revigorer notre conscience avec l’énergie que dégage la naissance de ce soleil équatorial dont l’éclat frémit sur les seize kilomètres d’étendue d’eau comprise entre la cité d’Inongo et le ville Selenge. D’ailleurs, la féerie de l’endroit dit « Baie d’Isaka » à Inongo a même poussé le Maréchal Mobutu à vouloir y ériger un château; malheureusement, ce projet, à l’instar de celui de l’hôtel du lac devant être construit au même lieu, a été envoyé aux calendres grecques, hormis la fondation.
En revitalisant donc ce lever du soleil éblouissant sur le lac Mai-ndombe, fruit de l’hébétude de l’auteur face à la magnificence de cette ancienne mer intérieure lors de son premier voyage à Inongo à l’âge de onze ans, la poésie de Mabusa nous rappelle un autre lever du soleil, celui qui fait un appel à la vitalité de la corporation des pécheurs de Nioki, qui s’en allaient chaque matin vérifier si leurs nasses ou hameçons ont pu capturer ces succulents poissons d’eau douce que regorge la rivière M’fimi. Et que dit le poète de cette rivière M’fimi :
Vous qui allez à Bediki
Imaginez !
Une rivière qui prend
Le mal à la source
Pour l’offrir au bal des
Caïmans
Mais qui refuse
D’ouvrir sa bouche
Au banc de sable
La somptuosité de cette rivière à la hauteur de la cité de Nioki, lorsqu’elle est jointe par la rivière Mulubampe qui vient s’y fondre, a d’ailleurs poussé un puissant génie des rivières du nom de « Mungakolo », génie protecteur de la Capitale du bois, d’y installer ses pénates. Et au-dessus de cette rivière, entre la cité de Nioki et le village d’Isaka, sur une étendue d’eau de plus ou moins sept kilomètres qui séparent les deux agglomérations, surgit un autre soleil éclatant, qui fait confondre en un clin d’œil l’aurore et l’aube.
Au-delà de la résurgence de souvenirs enfouis dans notre subconscient, c’est l’innocence même de l’écriture du poète qui intrigue. A commencer par le sens suggéré par le titre du recueil : « Du chœur dans un palimpseste ». Si le mot chœur renvoie illico presto à cette « réunion des personnes qui chantent ensemble », l’acceptation qui doit rencontrer l’assentiment de la métaphore incrustée par l’auteur de cet intitulé peut être rattrapable par l’assertion qui identifie ce mot comme « Partie d’une église où chante l’office et où se trouve le maître-autel, ou ceux qui chantent l’office ». Quant au terme « palimpseste », il signifie tout bonnement « Manuscrit ancien dont on a gratté l’écriture pour écrire à nouveau sur le parchemin ». Vous avez là, chers lecteurs, tous les ingrédients nécessaires pour donner votre sens à ce titre qui paraît de prime abord insolite.
Mais d’après le poète lui-même, ce titre est un chant de nostalgie d’un recueil de vingt-deux poèmes, écrits lorsqu’il avait vingt-deux ans, perdus dans les méandres de l’édition. Sa tentative de le reconstituer à partir d’anciens documents en fait donc un palimpseste. Comme toute rénovation contient en principe une nouvelle fraîcheur, il a voulu mettre un « chœur » dans ce nouveau chant.
Toutefois, la fugacité des pièces poétiques incluses dans ce recueil de Mabusa montre que nous sommes en présence d’un talent original, léger et captivant, qui, à l’instar de mon « Cœur de saisons » du poète Mayengo publié aux éditions du Mont Noir aux années 1971-1972, n’est pas encore corrompu par l’adversité, voire la morosité de l’âge adulte, en dépit de quelques tons amers que prennent parfois certains de ces poèmes d’enfance. Cependant, on y perçoit nettement une nette volonté de s’affranchir de l’ensorcellement du spleen baudelairien.
Par sa poétique vibrante, débordante de passions et d’énergie, Mabusa voudrait combler le déficit de l’anorexie vitale avec comme thérapeutique sa foi transcendantale en l’amour, en la vie.
Amour accompagne-moi
à la rivière à la rizière
à la vie pour le reste du temp
accompagne-moi Ange
la vie n’a qu’un sens
Vertical
aussi mon éthique
La transcendance
Ce recueil est un viatique d’émotion insouciante, et aussi une machine à remonter le temps : l’auteur ne se gêne pas à montrer ses balbutiements du début, à travers notamment ce poème en langue Sakata qui en fait est l’émanation de la poésie juvénile de sa tribu, scandée lors des manifestations festives ou des réjouissances populaires.
Mama èèè wêêê
Ma leba leba ntôô
Ma ntôô ntôô m’anka
Mais lorsqu’il lit par exemple « L’art culinaire » dédié à l’écrivain congolais Sony Labou Tansi, on constate une nette progression de son dire poétique, influencé par les poètes congolais d’en face (Congo-Brazzaville), à qui l’auteur semble vouloir payer un lourd tribut d’allégeance :
J’étais à cheval
sur le Congo
Brazza était une rive
pas très claire
pas plus claire que
Pointe Noire
J’étais à cheval
sur le Congo
ventre bourré des crabes
cervelles à parfaire
Cet ascendant de la poésie du Congo Brazzaville sur la plume de Mabusa, visible dans beaucoup de ses poèmes, notamment dans « L’art culinaire » dont un extrait ci-dessus, « Les perles vitales », pourquoi pas « La marche du temps », s’explique par le fait que l’auteur a fait une grande partie de ses études post-secondaires à l’Université Marien Ngouabi. Tandis que dans « Poème de poche pour Fasero » dédié à l’écrivain congolais (Kinshasa) Yoka Lye Mudaba, il y a un vouloir d’affermissement, d’anti-assujettissement qui donne au poète, à l’instar de Guy Apollinaire, le pouvoir de prendre quelques libertés avec les mots de son dédicataire, qu’il manipule d’ailleurs avec une prestidigitation émouvante. Ecoutons l’ensorceleur le dire lui-même :
Bâtard taré dis va-t’en
Vantard l’argent s’en faut
Ballon caboche rond et vide
Vol au vent épis de maïs
Embonpoint endimanché
Comprendre qui pourra ce langage d’initié, mais ce qui est vrai, le plaisir de lire ces vers débonnaires, volontiers volontaires, de Mabusa est un vrai régal pour l’esprit. En effet, dans toutes ses propositions, quatorze au total, le poète donne aux mots un substrat d’éloquence si évident que leur appréhension procure au lecteur une sensation de contentement, une impression de consentement.
Mais comme le disait Jean-Paul Sartre dans « Qu’est-ce que la littérature ? », en reprenant à son compte les idées de son ami Brice Parrain, les mots sont comme des revolvers, une fois chargés, on ne tire pas en l’air, mais on vise une cible. Peut-on alors déceler dans la poésie de Mabusa des « vains mots » ? Nous nous empressons de vous proposer ce qu’en dit l’auteur lui-même dans son recueil :
De ces mots-là
Que sais-je encore
Moi leur mouton de panurge
Je fais parfois l’idiot
Pour répéter bébête
Les vains mots
Et de renchérir :
sont vains mots
les guirlandes qui peuplent
un chemin de croix…
ou encore les efforts inutiles
du moucheron dans la bouche
De l’araignée
En tout cas, dans « Du chœur dans un palimpseste », les mots du poète Mabusa ne sont pas vains que pour les « bourdonnements des guêpes affamées, la simagrée de la guenon tombée dans un guêpier », mais pour tout lecteur avisé, ou avide de la bonne poésie, qui saura capitaliser la puissance que dégage ces poèmes accommodants, qui prônent une réconciliation de l’être intrinsèque avec la nature truffée de mille et un mystères, telle que plantée par le Créateur dans le pays prodigieux du poète Mabusa : celui du Lac Mai-ndombe.
Par Jean-Paul Brigode ILOPI BOKANGA
Félicitations. L’écriture ne peut saisir le savoir, car le savoir contrairement à l’information n’existe pas en dehors de l’homme. Socrate.
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